Yves Jouanny, le Gardien du temple
Il est des lieux qui raisonnent aux oreilles des passionnés et les enchantent au même titre qu’une R8 Gordini dans des lacets de Burzet, une Porsche à l’assaut de la Couillole ou le feulement d’une Audi Quattro avalant à une vitesse vertigineuse les longues courbes du plateau de Lachamp-Raphaël. Et il n’y a pas si longtemps, le rendez-vous de tous ces passionnés que ce soit ceux qui se «gèlent» au bord de la route ou ceux qui mouillent la chemise dans un baquet d’une voiture de rallye, c’était le restaurant de la Remise. Désormais, 60 ans plus tard et la découverte de cette perle ardéchoise par Jean Claude Andruet, la Remise s’est refait une beauté. On y déguste toujours les recettes de la famille Jouanny mais on peut aussi se replonger dans un passé automobile qui fut grandiose et que le Rallye de Monte Carlo Historique honore chaque fin de mois de janvier. Et mieux, si on a une âme d’érudit de l’histoire du Rallye, on peut se plonger avec délice dans la lecture des deux livres que le maître des lieux, Yves, a écrit ces quatre dernières années. Et quand Yves Jouanny – propriétaire avec sa soeur Yvette, 83 ans, actuellement en guérison d’une mauvaise chute – se met à table, on est sûr que l’après-midi sera passionnante en qu’on va passer un bon moment.
QUAND YVES SE MET À TABLE
Rien ne me destinait particulièrement à vivre la vie que j’ai vécu dans le milieu du sport automobile. Dès 66, avec la rénovation du café pour ouvrir l’auberge, bien sûr, on a rapidement vu a uer le gratin du rallye mais aussi les vedettes de la chanson et des arts, avec la présence de Jean Ferrat et grâce à notre maire, Jean Saussac, artiste et journaliste qui avait un réseau d’amis célèbres. » Brel, Aubret, Ventura, Brasseur, Nougaro, Leprest, Trintignant étaient régulièrement assis à la table de l’auberge. Et ceux-là fuient le tumulte parisien. Habitués des palaces et de tables renommées, ils prennent plaisir dans ce petit coin du Sud Ardèche et goûtent les produits du cru, cuisinés parYvonne. « Mon père, était cordonnier et ma mère, employée d’usine. C’est le maire qui les a persuadés de se lancer, en 1964. Ils ont fondé l’auberge de l’Epissard qui deviendra La Remise. Vous tuerez le cochon, vous cuisinerez les truites, l’agneau ardéchois, les produits de vos voisin paysans et je suis sûr que cela plaira.» La Remise ce fut l’affaire de toute la famille: Albert, le père surnommé «Belou», Yvonne son épouse, leurs filles Yvette et Colette, leur Fils Yves, désormais secondé pour la partie com par son fils Eric.
YVETTE A CÉDÉ SA CHAMBRE
Et c’était bien vu. L’auberge connaît rapidement le succès et en 66, l’ami Andruet et le bouche à oreille vont décider du succès de l’auberge avec une tarte aux pommes devenue mythique. « Ma soeur descendait en apporter aux équipages à Vals-les Bains, au départ. Mais rapidement, l’Automobile Club de Monaco a programmé une pause et un CH devant la Remise. La foule se pressait devant l’établissement si bien que la gendarmerie a été chargée de gérer l’événement, sur la route d’Aubenas à Antraigues ». A cette époque, Yves est professeur d’Education Physique et Sportive à Vals-les-Bains. « Je n’étais pas programmé pour tenir l’auberge avec mes parents mais en 78 mon père a eu des ennuis de santé. Il avait 58 ans et devait se ménager. J’ai arrêté immédiatement pour aider ma mère. Ce fut le virage de ma vie… Le Neige et glace, Le Tour Auto, le Lyon Charbonnières et le Monte-Carlo passaient ici. On imagine ce que ça a pu signifi er pour nous. Si les équipages français ont été les premiers à venir manger, les étrangers ont suivi. Le premier ce fut le père Toivonen. Mais les plus assidus c’étaient les Italiens, de Sandro Munari à Miki Biason. Carlos Sainz étaient souvent chez nous tout comme les Finlandais, Marku Alen ou Ari Vatannen. Lui est très proche de notre famille, de mon fils Eric. Il nous rend régulièrement visite. »
LE PRINCE ALBERT EN VISITE
Quand Yves se penche sur ses souvenirs les plus émouvants, il cite sans coup férir la venue du Prince Albert de Monaco pour la 100ème édition du Rallye Monte Carlo. « Ma maman était encore de ce monde, sur un fauteuil roulant. Ce jour-là on a mesuré le chemin parcouru. Mon père cordonnier et ma mère employée d’usine honorés par un personnage aussi important ! Je dois une éternelle reconnaissance à Michel Boeri… Je me suis battu pour l’ACM et le Monte Carlo et son passage en Ardèche. Depuis qu’il évite notre région, on se rend compte du vide qu’il y a en décembre et janvier, chaque année. Heureusement le Monte Carlo historique nous rend visite et on retrouve l’ambiance de fête. Le 4 février, ne vient pas manger, ce sera un coup de bourre de première pour perpétuer la tradition ! » précise Yves dans un éclat de rire.
LA REMISE, SALLE DE PRESSE
« On peut affirmer que quand les équipages pénétraient dans La Remise, il entraient dans un autre monde et laissaient toute animosité à l’entrée. Ils laissaient tomber les rancunes et le stress de la course dès qu’ils respiraient les effluves d’une cuisine de terroir. Ils allaient voir ce qui mijotait. Ils savaient que c’étaient des produits du paysan. En janvier on a toujours fait la fête du cochon (et sa fête, NDLR)…. et c’était aussi pratiquement une salle de presse. Les journalistes étaient tous là. Ils ont beaucoup fait pour notre popularité »
JOUANNY PREND LE VOLANT
Mais il ne faudrait pas oublier que Yves est aussi passé derrière le volant avec des résultats flatteurs notamment avec une Kadett GT/E 2 litres. Il affiche aussi 7 participations au Monte Carlo au volant et quelques uns a annoncer les notes, pour Andruet mais aussi pour Jean Louis Trintignant dans le cadre du Simca Racing Team. Désormais, il est à la barre de l’établissement. Un musée, une boutique, une table d’hôte, la rénovation totale de La Remise qui devait être terminée pour Noël mais qui le sera juste à temps pour la mi-janvier et désormais la promo pour les deux livres qu’il a écrit, les journées sont plus que chargées ! « J’y tiens plus, j’y tiens plus », souffle-t-il en se pressant de tous côtés, un téléphone à l’oreille tout en égrenant les souvenirs. Pourquoi, tu as été calme un jour dans ta vie, Yves ?
Alain Lauret