CRÉER UNE AVENTURE UNIQUE
Trouver un moment pour discuter auto avec Yves Loubet n’est pas toujours aisé, tant le bonhomme à la bougeotte. Mais quand ce moment arrive, c’est une expérience rare qui peut se terminer très tard en soirée. Le Corse est un passionné, il touche à tout et s’enthousiasme pour tout ce qu’il entreprend. Visiblement il abhorre la langue de bois, aussi. Le jour de notre rencontre téléphonique, Yves était sur un vélo en train de parfaire sa forme sur une petite route corse. « Je suis à vélo. On fait l’interview tout de suite ou quand j’arrive » nous souffl e l’ancien pilote de rallye et organisateur du Rallye du Maroc historique. N’ayant eu aucune expérience d’interview d’un cycliste en action, façon Thomas Voeckler, la décision est prise d’attendre le retour au bercail du champion !
YVES SOIGNE SA FORME UN SAMEDI SOIR
Une heure plus tard, en plein étirements, nous en venons aux faits. « Quand je me suis arrêté de piloter je me suis très vite ennuyé. Toute ma vie j’ai été à fond et sur tout les continents. Ça m’a vite lassé. Sur ce, un copain me propose de faire le Tour de Corse, version Historique de régularité. À la fi n de cette promenade j’étais vraiment sur ma faim. Ton truc c’est bien mais il faut le faire sur route fermée et face au chrono, un vrai rallye mais pour des autos anciennes, lui ai-je expliqué. Je n’ai pas tardé à me lancer dans l’aventure avec quelques passionnés corse. Je ne voulais et ne veux toujours pas d’une doublure de rallye moderne. Je voulais que toute l’organisation soit dédiée à la course historique… ». De 2003 à 2015, il sera le chef d’orchestre d’une épreuve qui deviendra très vite une référence, mais avec plus de 200 engagés l’aff aire est de moins en moins conviviale. « Si je créé ce type d’épreuve c’est pour que tout le monde prenne son pied. Il faut que ce soit rare et exceptionnel y compris pour les spectateurs ». Et comme ce n’était pas le cas, il préfère se consacrer à l’autre épreuve qu’il a créée en juin 2010, désormais courue en mai, le Rallye historique du Maroc.
APRÈS LA CORSE, DIRECTION LE MAROC
« Le Rallye du Maroc est un mythe qui a attiré les plus grands rallymen du monde, de Nicolas à Thérier ou Darniche en passant par Mikola, Lampinen, Neyret et j’en oublie. Quand je regardais la somme d’archives, j’étais émerveillé par tout : la longueur du rallye, jusqu’à 5000 kilomètres, la topologie, le cadre. Comme si on partait de Lille pour se retrouver à Nice. Une entreprise grandiose. Avec mon équipe on a mis 2 ou 3 ans à s’imprégner de ce qui allait nous attendre et puis on s’est lancés ». Mais partir d’une page blanche n’est pas chose aisée. « Je voulais recréer l’événement tel qu’il a existé dans les années 70-80. Mais certaines routes étaient totalement transformées, d’autres demandaient des dérogations. Ce fut un travail de fourmi. On a repris les tracés d’avant, les villes qui sillonnaient le parcours et tracé des spéciales entre ces villes, certaines d’époque, d’autres conformes à l’esprit. Traverser des paysages aussi beaux est une récompense inestimable, on était dans l’ambiance, les odeurs, les couleurs de l’époque… ».
Le Rallye du Maroc prend très vite son essor. Ce qui a fait son succès c’est que c’est une aventure sur les traces de l’histoire, de la culture du pays. Autre « plaisir », compliqué mais passionnant pour l’organisateur, il ne s’agit pas ici de remplir des papiers innombrables mais surtout de discuter, de rencontrer des responsables, nombreux, à des niveaux différents. « Si tu n’as pas la tchatche et le feeling, c’est mort. Il faut être humble, patient mais ensuite ces gens ne sont plus des partenaires, des institutionnels, ils deviennent des amis. Organiser le Maroc c’est plus de 6 mois de travail. De plus, nous avons un rallye de doublure humanitaire limité à 100 voitures, Mercedes, 504, Datsun… qui a aussi son coté aventure. ». D’années en années, le succès populaire ne se dément pas. « Dans les ES on a peu de spectateurs, mais dans les villes traversées c’est la fête. Dans le ton de ce que les marocains ont pu connaître si on s’en réfère à quelques anciens. C’est comme si le rallye avait toujours eu lieu. ».
DANS UN GRAND HÔTEL OU SOUS LA TENTE
Volontairement, le nombre d’engagés est limité à 50-60 voitures pour ne pas tomber dans les travers des expériences passées. Cela implique fatalement une sélection des véhicules autant que des concurrents. Les mauvais coucheurs qui ne sont pas dans l’esprit n’ont visiblement pas leur place ici. « Il faut que ce soit amical, convivial, qu’il y ait de l’entraide. Au niveau de la participation c’est très international avec des Anglais, des Suédois, des Français évidemment, des Marocains surtout sur le rallye de doublure, beaucoup de Belges. Au delà de l’engagement chacun gère sa course comme il veut. Certains vont dans de grands hôtels, d’autres ont la toile de tente, le tout dans le même esprit. Les étapes longues sont compensées par des plus courtes. On ne part pas trop tôt le matin, on rentre à une heure raisonnable. Il faut que ce soit équilibré. J’ai la chance de travailler avec des autorités marocaines impliquées, avec la FRMA et le plus vieux clubs auto du pays, celui du Grand Maghreb. Nous sommes environ 350 officiels, commissaires, gestionnaires… c’est un gros truc » précise Yves.
JE GOÛTE L’AVENTURE PAR TOUS LES PORES
« Et le cercle est parfait quand tu régales les concurrents autant que les spectateurs. Après, les observateurs qui, parfois, m’envient voient la fin, l’arrivée et le podium, l’ambiance de fou mais ils n’ont pas vu le début, les galères, les aller-retour, les nuits blanches. Mais ça reste du bon stress ». Quand Yves se retourne sur son passé de pilote, aussi, il ne retient que des bonnes choses. « J’ai eu un plan de carrière différent des autres. Cela m’a conduit à être officiel chez Alfa ou Lancia mais surtout j’ai goûté l’aventure par tous les pores. Je me suis fait un palmarès de fou mais sur tous les continents et je suis incapable de faire la liste de ce que j’ai gagné, de ce que j’ai raté. Il fallait que je conduise, que ce soit en essais quand personne n’était disponible ou en course. Qui sait que j’ai participé 3 fois au championnat du Liban, par exemple ? ». Cette soif d’action, Yves Loubet ne saurait y renoncer. « Je serai avec Porsche sur l’Africa Race, je suis sur un projet asphalte de grande envergure dans un pays européen. Je ne vois pas le jour mais qu’est-ce que c’est bon, » conclut-il cette rencontre fleuve qui nécessiterait quelques pages de plus pour être complète !
Alain Lauret